Le Kongo-Kinshasa, les textes du Carême et la corruption

 »Le héros tragique meurt de son hubris, il meurt de transgresser dans un champ où il n’existait pas de limites connues d’avance. » C. CASTORIADIS

Du point de vue de la foi, le Kongo-Kinshasa est classifié parmi les pays les plus croyants au monde. Il est supposé mettre  »le Dieu-Amour-Compassion » au coeur de son vivre-ensemble et cela au quotidien. Comment se fait-il que ce pays soit aussi classifié parmi les plus corrompus au monde ? Qu’est-ce qui ne marche pas ? La Parole de Dieu a-t-elle réussi réellement à clarifier le regard que les Kongolais posent sur eux-mêmes, sur les autres et sur ce Dieu en qui ils croient ?

Les textes proposés à la méditation des chrétiens en ce temps de Carême peuvent aider à approfondir les réponses à apporter à cette préoccupation.

Les textes du troisième dimanche sont interpellants à ce sujet.

Leurs idoles, or et argent

En interdisant à son peuple libéré de l’esclavage de ne se faire aucune idole, le Seigneur le mettait en garde contre un péché capital. Notre Bible contient un Psaume pouvant nous aider à mieux comprendre le sens profond de cette interdiction. Car les chaînes extérieures de l’esclavage peuvent être beaucoup plus faciles à briser que celles que nous pouvons nous forger de l’intérieur. Il s’agit du Psaume 113 B.

Le Psalmiste écrit  « Notre Dieu, il est au ciel : tout ce qu’il veut, il le fait. Leurs idoles : or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas. » Ps113b,3-6) Et le Psalmiste ajoute : « Qu’ils deviennent comme elles, tous ceux qui les font, ceux qui mettent leur foi en elles. » (Ps 113b,8)

En effet, dès que les humains se fabriquent les idoles et mettent leur foi en elles, ils peuvent avoir les yeux et ne pas voir la misère des frères et soeurs en humanité. Ils peuvent avoir les oreilles et ne pas entendre les cris des déshérités de la terre. Ils peuvent avoir une bouche et ne pas l’ouvrir pour défendre la cause des opprimés de notre monde.

Le Congo-Kinshasa souffre de ce péché d’idolâtrie. Depuis le début du génocide au Rwanda vers les années 1994 jusqu’à ce jour, des millions de Congolaises et des Congolais sont tués au quotidien. Des milliers de femmes sont violées et le viol est utilisé comme une arme de guerre. Il arrive même qu’après le viol, les terroristes ouvrent les ventres des Congolaises, en sortent les foetus et les pilent dans les mortiers.

Ces tueries, ces massacres et ces assassinats participent d’une guerre dite de basse intensité. C’est-à-dire une guerre menée contre le Kongo-Kinshasa par les grandes puissances par le canal des proxys interposés. Ces proxys sont des pays voisins, leurs armées, les miliciens qu’ils entraînent et entretiennent ainsi que des Kongolais(es), traîtres de leur patrie.

Donc, le péché capital de l’idolâtrie , ceux de la cupidité et de la convoitise rendent difficile la mise en pratique des commandements de Dieu tels que nous les avons lus dans la première lecture. Les pères et les mères sont déshonorés. Souvent, en présence de leurs enfants et/ou au même moment qu’eux. Il y en a qui sont tués et dont les enfants sont forcés de manger leur chair. Toutes les limites mises par ces commandements (« Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. Tu ne convoiteras pas (…)) pour rendre le vivre-ensemble possible sont foulées au pied au nom de l’or, de la cassitérite, du coltan, du polyclore, du nobium, du cobalt, du diamant, du litium1, etc. dans l’impunité et dans un silence total.

Une indispensable metanoïa

Sans une metanoïa, un retournement au plus profond de soi-même, sans une sérieuse conversion collective portée par une justice juste et équitable, rien de bon n’adviendra dans ce pays.

L’idolâtrie, la cupidité et la convoitise sont des péchés individuels. Ils sont commis par des individus souffrant, consciemment ou inconsciemment, d’un péché structurel. Ils vivent dans un pays où la guerre perpétuelle fabrique en permanence un  »Etat raté »2 dans un contexte où l’hédonisme consumériste s’impose aux coeurs et aux esprits.

Donc, lutter contre la corruption des coeurs et des esprits implique une metanoïa à la fois individuelle et (structurelle ou) collective. C’est-à-dire le renouvellement (continu) de l’humain kongolais rompant avec le péché, la fin de la guerre raciste de prédation et de basse intensité, la mise en place des structures étatiques souveraines, équitables, justes et bienveillantes.

Tant que cette guerre néocoloniale et néolibérale durera et que l’ Etat sera toujours  »raté » -c’est-à-dire incapable de répondre aux besoins essentiels de sa population dans leur diversité, y compris les besoins éthiques, spirituels et éducationnels-, lutter contre la corruption sera beaucoup plus compliqué que dans un Etat normal. D’où la nécessité de penser aux assises de la refondation kongolaise, à la mobilisation permanente des patriotes résistants et dissidents et aux alliances stratégiques et géopolitiques pouvant accélérer la fin de cette guerre appauvrissante anthropologiquement. En restant disponible à l’imprévisible, à l’impensable et à l’inconnu…

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

1Lire R. CUSTERS, Chasseurs des matières premières, Bruxelles, Investi’Acttion, 2013.

2Lire J-P. MBELU, La fabrique d’un Etat raté, Paris, Congo Lobi Lelo, 2022.

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