Les Evêques du Grand Kasayi se prononcent enfin sur le phénomène Kamwina-Nsapu

Le 8 décembre 2016, l’Eglise du Kasayi a célébré, à Mikalayi, le 125ème anniversaire de son Evangélisation, lancée par le R.P. Emeri Cambier (CICM) le 8 décembre 1891. Au cours de la Messe solennelle présidée par S. Exc. Mgr Marcel Madila, Archevêque de Kananga, entourépar huit Evêques et une quarantaine de prêtres venus de tous les quatre coins du Kasayi, l’Assemblée Episcopale Provinciale de Kananga (ASSEPKA) a rendu publique une lettre pastorale que beaucoup de fidèles attendaient, compte tenu surtout de tristes événements que le Kasayi vit depuis quelques mois. En effet, outre l’action de grâce pour les bienfaits spirituels de ce Jubilé de l’Evangélisation, les Evêques du Grand Kasayi se sont enfin prononcés sur le phénomène Kamwina-Nsapu, lui consacrant sept des douze numéros que compte leur lettre pastorale.

Les conséquences douloureuses du phénomène Kamwina-Nsapo

        L’ASSEPKA aborde la question par un constat douloureux : « En ce moment où nous clôturons cette Année du Jubilé, nous avons une forte douleur intérieure à vous confier. Les tristes événements que notre
Région est en train de vivre dans le Kasayi Central, dans le Kasayi Oriental et dans le Kasayi, suscitent des inquiétudes qui font saigner nos cœurs de Pasteurs. Depuis le mois de juillet 2016, nos frères et sœurs sont sauvagement blessés ou assassinés ; des villages sont brûlés et vidés de leurs habitants ; des familles sont obligées de se déplacer et de se refugier dans la forêt, livrées aux intempéries et aux maladies, sans moyens de survie ; de nombreux enfants et jeunes sont victimes de cette situation et ne peuvent pas aller à l’école ;
des infrastructures publiques sont détruites ; par endroit, des prêtres et des consacrés sont obligés d’abandonner leurs communautés d’apostolat ; l’insécurité est répandue dans nos agglomérations et sur
nos routes… »
Les causes profondes du phénomène Kamwina-Nsapu

        Selon les Evêques du Kasayi, pour bien comprendre le phénomène Kamwina-Nsapo et sa rapide expansion dans plusieurs contrées du
 Kasayi, il faut éviter de l’enfermer dans les circonstances locales de son émergence, mais le situer dans le cadre de la souffrance à laquelle est condamné tout le Peuple congolais. Pour eux, nous sommes devant un phénomène politique, « l’une de multiples expressions des
graves frustrations sociales et politiques que vit toute la population congolaise. » Car, argumentent-ils, « après près de soixante ans d’indépendance, notre Pays tourne en rond et l’Etat n’arrive pas à assurer aux citoyens les services de base comme la sécurité sociale, les soins de santé, l’hygiène, l’eau potable, l’électricité, l’école et l’habitat. L’impunité est généralisée. La sécurité des personnes et de leurs biens est aléatoire, avec les intimidations, les pillages, les viols, les déplacements des communautés et les massacres que nous connaissons. Les institutions républicaines ne sont pas souvent au service du Peuple. La violation des droits politiques des citoyens garantis par la Constitution ne cesse de grandir. La culture de la corruption et du détournement des biens publics ne recule pas. Le manque de voies de communication et de moyens de transport enclave des communautés entières, avec des conséquences néfastes pour les
économies locales et le développement des peuples. Le chômage atteint des proportions catastrophiques, tandis que des jeunes sont condamnés à des métiers dangereux et improductifs comme le transport à vélo,
l’exploitation artisanale des minerais, la production et la vente de la drogue. Les rares entrepreneurs, qui créent pourtant des emplois et de la richesse, sont soumis à des tracasseries administratives qui ne
profitent pas à la Nation. Beaucoup de petites et moyennes entreprises abandonnent nos Provinces de l’intérieur pour des villes où la pression fiscale et les tracasseries administratives sont moins élevées. Par milliers, des personnes et des familles entières abandonnent aussi ces Provinces à la recherche d’opportunités ailleurs. Les nouvelles entités administratives sont dépourvues de moyens de fonctionnement et pèsent lourdement sur une population déjà appauvrie. L’absence de gestion rigoureuse de notre riche patrimoine environnemental fait déjà ressentir ses impacts négatifs sur la production agricole, la disparition de plusieurs espèces de notre flore et de notre faune, l’insalubrité généralisée et les érosions qui menacent la plupart de nos villes et cités. Le bradage criminel d’immenses ressources minières et forestières de notre Pays se poursuit… Pendant toutes ces années d’indépendance, nous avons perdu beaucoup d’opportunités et raté beaucoup de rendez-vous avec l’Histoire ! Jusqu’à quand serons-nous toujours un petit Pays, incapable de s’imposer en Afrique et dans le concert des Nations comme
une référence ? La démocratie est encore un rêve dont la réalisation est toujours entravée et repoussée. » On comprend alors pourquoi les jeunes de Kamwina-Nsapo ne s’en prennent qu’aux fonctionnaires publics et à leurs bureaux, considérés comme symbole d’un Etat qui est à la base de la souffrance du Peuple. On comprend aussi pourquoi, comme une tache d’huile, le phénomène se poursuit et s’étend, malgré une forte
répression militaire et policière.

Rendre sa noblesse à la politique

        A la lumière de cette analyse, les Evêques du Kasayi pensent qu’on ne peut répondre adéquatement au phénomène Kamwina-Nsapu qu’en prenant en charge ses véritables causes. Aussi appellent-ils à « un vigoureux réveil des consciences de tous et une détermination à mettre fin au processus de déshumanisation et de marginalisation qui risque de plonger le Pays tout entier dans le chaos ». Ils invitent à redécouvrir la valeur du Bien commun, qui est la raison d’être de l’Etat et de la communauté politique. S’adressant particulièrement àl’actuelle génération des politiciens congolais, ils leur rappellent la grandeur et l’importance de leur vocation dans la vie de la Nation : « La construction d’un ordre social et politique respectueux du bien commun et de la dignité inaliénable de la personne humaine sera l’œuvre des politiciens à la hauteur de nos aspirations et d’immenses ressources humaines et matérielles dont dispose le Congo. La politique étant l’une des formes les plus précieuses de la charité au service du bien commun, on y entre seulement pour faire du bien à son Pays et mettre le meilleur de soi-même au service de son Peuple. La politique est une vocation noble, un métier qui ne peut être bien exercé que par des hommes de grands principes. Le Congo a besoin de politiciens qui aiment leur Pays et qui soient de véritables sentinelles du bien commun, avec un sens élevé de la dignité humaine et de la responsabilité historique. Il est impérieux de bâtir un Etat de droit, une vraie démocratie favorisant l’alternance en politique. Un tel système est de nature à susciter une nouvelle classe politique plus soucieuse de l’intérêt commun. »

L’interpellation aux politiciens kasayiens

        Les Evêques consacrent le numéro 7 de leur lettre à toutes les filles et à tous les fils du Kasayi engagés dans la politique. Ils leur demandent de prendre à cœur leurs obligations et de se battre pour l’amélioration des conditions de vie dans leur Région. Ils leur rappellent que la situation du Kasayi présente des indicateurs parmi les plus négatifs de tout le Congo et que les tristes événements dont souffre leur Région font malheureusement partie d’une longue chaîne de conflits qui opposent des communautés et ensanglantent le Kasayi depuis des années. Les Evêques notent que des conflits des terres, des conflits des chefferies et des conflits de leadership politique y sont entretenus depuis longtemps pour des objectifs qui desservent le développement local. Et pour contribuer au changement, les Evêques lancent quelques grands défis aux politiciens du Kasayi : « Il est urgent qu’ils fassent un inventaire complet de tous nos conflits sociaux et s’engagent dans la recherche des solutions justes. Nous leur demandons de jouer un rôle de guides et d’éclaireurs de nos populations dans leur lutte pour vivre en paix. Et, vu la situation générale de notre Région, nous souhaitons que tous les politiciens du Kasayi se rencontrent, le plus tôt possible, dans le cadre d’un atelier technique, pour faire l’état des lieux de la situation socio-économique de notre Région, en vue du plaidoyer national et international pour son développement. Le Kasayi veut voir ses fils et ses filles politiciens se préoccuper de son sort et travailler pour son développement. La paix véritable passe par la justice, par le développement intégral et par l’engagement de tous au service du bien commun. »

Le phénomène Kamwina-Nsapu, une interpellation pour l’Eglise

        Dans leur lettre, les Evêques du Kasayi ne se limitent pas seulement à l’analyse politique du phénomène Kamwina-Nsapu. Au terme d’une année consacrée à la méditation sur cent vingt-cinq années de foi chrétienne au Kasayi, ils ont aussi l’honnêteté d’affirmer que ce phénomène les pousse à s’interroger sur la qualité de l’accueil de l’Evangile et son impact dans la vie des kasayiens : « Dans une société où la majorité
se déclare disciples du Christ, comment peut-on expliquer la banalisation de la méchanceté et de la violence ? Comment expliquer tant de souffrance après tant d’années d’Evangélisation ? Que font tous ces chrétiens que l’on entend prier à haute voix à longueur des journées et des nuits ? » Les Evêques vont encore plus loin en affirmant : « Nous sommes témoins de croyances et de pratiques de superstition qui ne sont possibles que là où la foi en Jésus-Christ est encore un vernis superficiel. » Aussi invitent-ils à relancer l’action pastorale de l’Eglise : « Nous devons travailler pour que la foi en Jésus-Christ féconde les cœurs et transforme les mentalités. » Ils rappellent aux prêtres, aux consacrés et aux laïcs engagés l’importance de leur mission ecclésiale et sociale, les conviant à la vigilance, à l’esprit critique et au discernement, comme témoins de la force transformatrice de la foi en Jésus. Pour les Evêques, les chrétiens doivent être le ferment d’un Kasayi nouveau et d’un Congo nouveau.

3 Comments

  1. Bien dit par nos pasteurs pour une fois, mieux vaut tard que jamais.
    Cependant, ils se sont lavés les mains comme Pilate devant Jésus. Eux se sont, en bons pharisiens, établis comme donneurs de leçon et n’ont rien à se reprocher derrière leurs robes blanches en escamotant leurs propres responsabilités devant Dieu et les hommes. Quel est leur exemple de moralité dans la région? pourraient ils nous indiquer quelques exemples de civilité, d’équité, de justice et de charité dans la gestion de leurs diocèses respectifs, dans leur gestion de leurs administrés (prêtres, religieuses et laîcs), en quoi sont ils différents du pouvoir politique dont ils affichent les mêmes comportements(mégestion, immoralité, orgueil, abus de pouvoir)?
    Que mettent ils en place comme modèles de changement de mentalité pour être des modèles dans cette société en déperdition? Que font ils de la corruption politique dont ils sont bénéficiaires consentant? Qui de nos évêques pourrait être cité comme modèle dans notre Kasaï? Nos populations ont besoin des modèles, des références où pourraient elles en trouver?

  2. Jacques Nkongolo Musungula 14 décembre 2016 at 21 h 11 min

    Nous ne pouvons qu’être ravi de cette réaction réfléchie et responsable de l’Église catholique du Kasai. Nous notons que c’est un écho significatif à notre article du 18 novembre dernier sur le phénomène Kamuine Nsapu. Il s’agit d’une analyse à la fois globalisante et pointue du contexte politique, économique et socio-culturel dans lequel s’insère le phénomène Kamuine Nsapu aux côtés d’autres crises. Un contexte marqué, selon cette analyse, par la double problématique de la bonne gouvernance et de la volonté politique dans la « gestion de la cité », laquelle problématique se traduirait par la persistance des crises de tout genre ainsi que par l’aggravation, qui en résulte, de la misère des populations.
    Les recommandations qui se sont dégagées de cette analyse en reflètent bien l’approche globalisante de la crise sous examen et n’épargnent personne : elles s’adressent aussi bien aux décideurs politiques, aux leaders religieux et d’opinion qu’à tous les ressortissants des contrées touchées. Un accent particulier est, néanmoins, mis sur la responsabilité des opérateurs politiques, leur mission de servir et non de se servir étant jugée décisive et de première importance. Dans cet ordre d’idées, les princes de l’Église du Kasai suggèrent la tenue des états généraux de la situation globale des crises et des conflits dans les Grand Kasai et d’en dégager des solutions appropriées. C’est une démarche qui présente, à notre humble avis, l’avantage d’offrir la possibilité aux participants de cerner les interrelations sectorielles des facteurs à la base de la situation de crise et de proposer des solutions optimales et solidaires. Cependant, les différentes crises n’ayant pas le même potentiel de nuisance et ne se situant pas non plus sur un même palier dans l’échelle des urgences et des priorités, il y a lieu de craindre que la grave crise sécuritaire de Kamuine Nsapu ne soit placée dans un même sac que les autres conflits de pouvoir courumier et ne se trouve banalisée de ce fait. Cette observation nous amène à suggérer que les états généraux ainsi proposés se tiennent le plus tôt possible et que les problématiques retenues y soient abordées de manière à rendre compte des enjeux et des risques spécifiques à chacune des crises sous examen. Par ailleurs, il serait souhaitable, pour l’efficacité des travaux, de faire également la part des choses entre les problèmes techniques et les problèmes adaptatifs. A un problème d’ordre technique correspond une solution unique et connue d’avance, tandis qu’un problème adaptatif peut donner lieu à des variantes de solutions possibles et non connues d’avance. Le manque d’eau potable dans la ville de Kananga, la famine dans les zones touchées par les conflits armés ou le mauvais état de routes, par exemple, sont des problèmes techniques. Le phénomène Kamuine Nsapo , par contre, est un problème adaptatif : sa solution n’est pas connue d’avance; elle exige un travail d’experts. Aussi, sera-t-il indiqué, le moment venu, de responsabiliser des groupes d’experts dans l’examen des différentes questions et la proposition des solutions idoines et efficaces. En effet, les politiciens étant généralement mus par des intérêts égoïstes et souvent antagonistes et n’ayant pas toujours les moyens de leurs ambitions, il y a lieu, tout en reconnaissant leur poids en tant que décideur public ou faiseur d’opinion, de leur faire jouer tout au long des travaux un rôle plutôt protocolaire et/ou représentatif qui réduirait le plus possible leur potentiel d’influence partisane dans les débats de fond et dans la formulation des recommandations y relatives. En d’autres termes, nous estimons que les travaux proposés gagneraient plus en efficacité s’ils reposent sur des analyses objectives et indépendantes d’experts et se préoccupent d’aboutir à la production d’un document technique d’orientation et de référence pouvant servir pour les actions immédiates ou futures des uns et des autres dans la recherche des solutions aux différentes crises, que s’ils se transformaient en une tribune de plus offerte aux politiciens pour se donner en spectacle en faisant gratuitement des déclarations d’intention ou en donnant des promesses sans lendemains. Ceci dit, il est plus que temps de prendre le taureau par les cornes en s’engageant dans la direction proposée par notre Église catholique du Kasai, moyennant, bien entendu, la prise en compte des différentes observations pertinentes que susciterait son intéressante interpellation.

  3. Nous saluons nos Évêques pour ce courage prophétique et les encourageons à vivre eux-mêmes ce qu’ils écrivent , au lieu d’être les prophètes de la cour qui, tout en dénonçant , mangent en même temps à la table du roi .

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