Le Kongo-Kinshasa, identité et altérité

« Le tribalisme est une escroquerie politique » B. Musavuli

Dans plusieurs de ses dernières vidéos, Israêl Mutombo, le patron de  »Bosolo na politique » essaie de mettre sur la place publique les cartes de différentes provinces de l’arrière-pays. Il rend compte de ses tournées en provinces. Il organise des émissions avec certains  »députés provinciaux ». Ceux-ci soutiennent publiquement que l’arrière-pays se meurt. Plusieurs  »élites politiques », affirment-ils, l’ont abandonné. Ils lui ont préféré la ville capitale Kinshasa et les  »mikili ». Et de Kinshasa, ces  »élites politiques » organisent des vacances pour leur progéniture  »na mikili » où certaines ont acheté des biens et où ils se sentent bien. Tous ou presque ont oublié leurs terres-mères.

Dans un pays où plusieurs compatriotes s’accusent d’être  »tribalistes » depuis plus de six décennies, comment expliquer cet abandon de l’arrière-pays par  » les tribalistes » toutes tendances confondues ? Pourquoi y a-t-il déracinement, dépaysement et exil ? Y a-t-il réellement déracinement et dépaysement ? A partir de quelle période historique ce triple phénomène aurait-il commencé à s’imposer dans l’imaginaire kongolais ?

Pourquoi  »les tribalistes » ne participent-ils pas à la construction de leurs villages et de leurs cités ?

Les ont-ils réellement  »habités » ? Est-ce réellement leur  »chez soi » ? Non, pour les aliénés !

Franchement, répondre à toutes ces questions est un dur labeur. Un petit article ne suffirait pas. Même pas un livre. Néanmoins, il est possible de partir d’une certaine approche ontogénitico-anthropologico-philosophique pour tenter de bribes de réponses et susciter une réflexion de fond.

Le Kongolais est un humain. Telle est son identité originaire. Pour avoir vécu plusieurs siècles de  »vol de l’histoire », de traite négrière, de colonisation, de néocolosation, survivant le mieux qu’il le pouvait, semble avoir cru que renoncer, à cette identité, à  »son bomoto » était normal.

 »Le vol de l’histoire » a fait coïncidé son existence en tant qu’humain avec la rencontre de l’autre, du  »venu-d’ailleurs ». Ce  »vol de l’histoire  » a mis en doute son identité originaire, l’a coupé de ses racines ancestrales et culturelles humanisantes. Il l’a coupé de sans culture traditionnelle dans ce qu’elle a profondément de  »barrière civilisationnelle ».

La traite négrière, la colonisation et la néocolosation en tant que paradigmes négatifs de néantisation et d’indignité l’ont davantage déstructuré anthropologiquement. Ces paradigmes l’ont plongé davantage dans un processus de régression anthropologique zombifiante.

Une étude suffisamment (complémentaire) détaillée est menée sur cette question par Emmanuel Kabongo Malu. Elle est intitulée  » Décadence et disparition du congolais comme peuple historique : analyse phénoménologique de l’identité collective perdue » (dans J. KANKWENDA MBAYA et F. MUKOKA NSENDA, La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, Kinshasa, 2013, p.357-391)

Evoquer  »le vol de l’histoire » et ces autres paradigmes négatifs ne signifie pas s’engager dans un processus de recherche des boucs émissaires. Non. C’est essayer, tant soit peu, d’ effectuer un arrêt et se poser la triple question – qui sommes-nous ?, d’où venons-nous ?, où en sommes-nous?- avant de poursuivre la marche collective pour un avenir riche de ses possibles.

 »La vol de l’histoire » a conduit le Kongolais à oublier qu’ ontogénétiquement, il est un  »Muntu », un humain pour soi, avec soi et pour et avec autrui, ayant besoin des marqueurs dignifiant son humanité. Aussi, chaque fois qu’il s’est retrouvé coupé d’autrui, s’est-il rendu compte de ceci :  »Nkaya nlutatu, babidi mbapite » (Etre seul c’est souffrant, être deux c’est dépasse cela, c’est mieux ). Ontogénétiquement, son expérience et son identité premières sont celles d’un humain se recevant d’autrui et n’étant mieux dans sa peau qu’avec autrui dans son élan de répondre à ses désirs humanisants.

Se recevoir d’autrui, cela se fait à partir d’une portion de terre, d’un foyer, d’un couple, d’une famille, d’un clan, d’une tribu et d’une culture. Tel est le lieu de son premier enracinement et de ses premiers apprentissages ; des premières modalités de la réalisation de sa seconde identité d’un humain venant de …

Se mouvoir pour aller à la rencontre de l’autrui porte les marques de ce lieu du premier enracinement. Souvent, aller vers autrui se fait dans la compagnie de ses compères (ou ses commères).

Aller à la rencontre de l’autre s’apprend à partir de chez soi et/ au cours de certains contacts (ou apprentissages) rendus possibles par culture autour du feu (ou dans un bosquet initiatique), par le marché,par le mariage, par le conflit, par le voyage (mobilité), etc.

Partir dans le voyage de la vie sans cet apprentissage peut être handicapant du point de vue de l’approche de l’altérité. Il semble, aux dires de certains psychiatres et psychothérapeutes, que plusieurs socio et psychopathes l’ont loupé. Soit !

Donc, aller vers autrui se fait à partir d’une terre, d’une tribu, d’une culture, seul et/ ou avec ses potes. Et la rencontre de l’autre dans son altérité peut être enrichissant de ses différences et de ses ressemblances tribales ou culturelles. Elle peut générer de la confiance, de l’indifférence, de la méfiance et/ou de l’hostilité eu (aussi) égard au cadre où elle se déroule et le minimum d’éthique qu’elle respecte. Le conflit et l’hostilité peuvent se rencontrer au cœur d’une même famille, d’un même clan ou d’une même tribu. La sagesse luba le savait quand elle stipulait : « Balela kabasuanganyi, nansha balela kua mukaji umue. » (Les apparentés qui ne s’aiment pas même s’ils sont nés d’une même mère!) Elle savait que le cœur humain peut céder au conflit ! (Matandu mmena ku moyo kuenda, enseignait-elle!)

En société, la confiance née surtout là où un minimum d’interdits est partagé et respecté : l’interdit d’homicide, l’interdit de mensonge et l’interdit d’inceste. (Les Baluba en parlent en termes de luzanzu ou mikandu c’est-à-dire les limites à ne pas franchir pour rendre la vie avec autrui possible).

Là où règnent des liens antagonistiques surgit le conflit souvent porté par une violence diabolique ne pouvant être apaisée que par un renversement des rapports de force. La palabre, les masambakanyi, le looso et le kinzonzi peuvent aider.

Il arrivait que cela advienne après un sang versé. Dans ce contexte, les Baluba disaient ceci :  »Batapa watapa kunangidi kuadia bena mbuji » (On blesse blesse sans tenir compte de l’intervention des (juges) mangeurs des chèvres (en vue de la réparation ).

Aller à la rencontre de l’autre riche (et/ou pauvre) des apports de sa tribu et de sa culture est une des choses les plus normales au monde dans la mesure où, en dehors des conflits meurtriers, cela permet un apprentissage et un enrichissement interculturel.

N’être jamais sorti de chez soi pour aller à la rencontre de l’autre peut être appauvrissant. Cela peut enfermer dans certains préjugés et dans certains racontars. Ceux-ci peuvent provoquer le recroquevillement sur soi, l’indifférence ou le rejet de l’autre et de sa tribu.

Au Kongo-Kinshasa, l’approche de l’autre a subi, au cours de l’histoire, hormis ses démons intimes, l’influence des théories racialistes, d la catégorisation des tribus et de leur l’opposition les unes aux autres au cours de la traite négrière, la colonisation et la néocolonisation. Le déracinement et le dépaysement en sont aussi les fruits.

Arrachés à ses terres, à ses ancêtres et à ses dieux (Lire  »Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire), le Kongolais a commencé une vie faite d’errance et d’errements sous l’influence de ces paradigmes négatifs et d’indignité. Cela se poursuit.

Les guerres négrières, coloniales et néocoloniales portées par le matérialisme, le militarisme et le racisme (et/ou la ségrégation) se sont menées avec la complicité des  »élites » compradores kongolaises et/ou les ont instrumentalisées. Elles les ont opposées les unes aux autres en cachant les intérêts bassement matériels qu’elles visaient. Cette opposition diabolique a rejailli sur leurs tribus au point d’en faire des références identitaires à diaboliser. Cette opposition diabolique a servi et sert encore  »la politique du diviser pour régner » chère aux  »maîtres du monde et à ceux qui leur obéissent ».

Dans ce contexte historique, politique et social dominé par un système promouvant les paradigmes de néantisation et d’indignité, les marqueurs du  »Bomoto » font cruellement défaut. La sécurité, la stabilité, le travail, la tranquillité, la justice, la paix, le partage, la responsabilité, etc. font cruellement défaut.

Dans ce contexte, l’identité originaire kongolaise, son  »BOMOTO » réclame ses droits.Elle cède pas toujours et partout toute la place à son identité seconde (kongolaise). Elle a besoin, pour son épanouissement, que les marqueurs de la dignité susmentionnés soient réellement rendus effectifs. En conséquence, certains kongolais rentrés dans la résistance contre ce système mortifère luttent depuis plusieurs siècles sur place en restant collés à leurs terres-mères. D’autres survivants à ce système s’exilent-pour sauver l’humain en eux- ou sont exilés au nom de leur lutte pour sauver en eux leurs identités originaire et seconde. D’autres encore font des va et vient entre le pays et leurs lieux de survie, etc.

Plusieurs, bien qu’étant loin de leurs terres-mères les portent en eux-mêmes et les servent le mieux qu’ils peuvent. Il y en a même qui militent pour une identité constitutionnelle plurielle. Ils voudraient éviter, plus à raison qu’à tort, que leurs identités plurielles soient réduites à une seule, la kongolaise.

Ceux-ci ont peut-être compris que l’interculturalité peut être une richesse et qu’aller à la rencontre de l’altérité permet de mieux se connaître et de rendre compte qu’on pas seul au monde ainsi que du fait que la terre entière est une maison commune sur laquelle des humains dignes et des Etats réellement souverains peuvent coopérer et fraterniser dans le respect de leurs différences, des principes et règles partagés sans exclure la possibilité de céder à la violence diabolique.

Sortir de la violence diabolique dans laquelle le Kongo-Kinshasa est une question profondément historique, culturelle, ontogénétique, éthique, anthropologique et philosophique.

Effectuer un parcours éducationnel et info-formé en ces matières peut sérieusement dépanner. Telle est mon hypothèse. Critiquable, bien sûr. Le pays a trop abandonné la théorisation des questions vitales au nom de  »l’actualité politique » quelque fois abrutissante, abêtissante, assujettissante et abâtardissante.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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