Les Kongolais(es) et la guerre cognitive

« Les analphabètes du XXIe siècle ne seront pas ceux qui ne peuvent lire ou écrire mais ceux qui ne peuvent apprendre, désapprendre et réapprendre » (A. TOFFLER)

Un peu de distance critique à l’endroit des textes et d’autres documents publiés sur le Kongo-Kinshasa est indispensable à l’enrichissement du débat kongolais. Souvent, ces textes sont cités par des analystes et des journalistes sans que des questions liées à leurs auteurs, leurs intentions et leurs objectifs ne fassent l’objet d’aucune interrogation. Il y a là comme une certaine forme de naïveté et de croyance selon laquelle tous ceux qui écrivent sur le pays de Lumumba veulent son bien. Tout se passe comme si plusieurs compatriotes ne sont pas encore au courant de la guerre cognitive et de ses dégâts au coeur de l’Afrique. Malheureusement, nous avons toujours une guerre de retard. Malheureusement. Cela pourrait être très préjudiciable pour notre devenir collectif. Surtout que le nombre de refus de désapprentisage et de réapprentissage va croissant. L’imbécilité collective aidant.

.1.  »Fatshi béton » et le refus de fouiner dans le passé

Lorsque  »Fatshi béton » vient  »aux affaires », il lève une option : ne pas fouiner dans le passé d’un pays en proie à une guerre perpétuelle, raciste de prédation et de basse intensité menée contre son pays natal par des proxys rwandais, ougandais, burundais, etc. interposés. Il estime même que les victimes kongolaises de cette guerre de basse intensité constituent les dégâts collatéraux du génocide rwandais. Plusieurs compatriotes journalistes et analystes politique faisant fi de l’histoire abondent dans le même sens et s’en prennent aux leurs qui, depuis plus de deux décennies, ont pris le temps d’étudier en profondeur cette guerre à partir des faits, de la géopolitique et de la géostratégie mondiale après la chute de l’URSS. Ils les qualifient de tous les noms d’oiseaux. A leur avis, le Rwanda étant le voisin naturel du Kongo-Kinshasa, il ne servait à rien d’en faire un ennemi.

Cela a duré jusqu’au jour où, le même  »Fatshi béton » va dire, à haute voix, que derrière le M23, il y a le Rwanda. Du coup, le narratif change. Des compatriotes journalistes et analystes politiques ayant nié pendant longtemps cette demi-évidence se reconvertissent en combattants farouches pour la cause du Kongo-Kinshasa contre le Rwanda. Le passage d’Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, en Afrique, semble avoir ouvert davantage leurs yeux. Et petit à petit, ces compatriotes commencent à sortir le pays du narratif insulaire où ils l’avaient enfermé pendant longtemps pour le penser différemment. Dieu, merci. Même s’il y a encore beaucoup d’efforts à déployer du point de vue géopolitique, géoéconomique et géostratégique. La documentation disponible sur ça est abondante et mérite d’être consultée.

Malheureusement, il me semble que le temps gaspillé avant de comprendre majoritairement l’implication du Rwanda, de l’Ouganda et des autres pays africains dans la guerre de basse intensité orchestrée par les anglo-saxons et menée contre le Kongo-Kinshasa est révélateur de quelque chose de plus profond : le refus d’apprendre des compatriotes et des hommes et des femmes de bonne volonté ayant mis du temps à l’étudier ; la volonté de les ignorer avant que  »le magister dixit » ne donne le go. Il y a au Kongo-Kinshasa, dans les milieux journalistiques et des analystes politiques comme un attachement fétichiste aux  »chefs »,  »aux  »profs », aux  »élites auto-proclamées » à telle enseigne que  »la vérité » ne peut venir que d’eux et non du choc des idées. C’est fou. Penser par soi-même semble devenir un exercice très périlleux…

Ici, il y a réellement un problème sérieux au pays de Lumumba : la prise en otage de  »la pensée » ou plutôt l’uniformisation de la pensée par les élites auto-proclamées et  »les chefs » et le fanatisme qui en découle.

 »Les hérétiques »,  »les dissidents »,  »les critiques »,  »les résistants » ayant de la voyance sont souvent des incompris. Ils crient longtemps dans le désert avant que les faits ne finissent par leur donner raison.

2. La dictature du temps présent et de l’instant et la guerre cognitive

La dictature du temps présent et de l’instant a fini par manger tellement des coeurs et des esprits que bien penser de manière anticipée est souvent vu comme étant une hérésie. Actuellement, par exemple, plusieurs compatriotes ne se rendent pas compte que la guerre de prédation imposée au pays est aussi une guerre cognitive autodestructrice dont ils ne mesurent pas la portée et les conséquences à court, moyen et long terme. Plusieurs n’ont pas encore compris que le terrain de la guerre de tous contre tous au XXIe siècle est le cerveau. Ils n’ont surtout pas compris que des textes sont écrits, des articles sont produits, des vidéos sont faites pour servir d’armes d’autodestruction massive des Kongolais(es) ayant renoncé à l’esprit de lucidité et de discernement fait défaut.

Qui produit les textes, les articles, les rapports, les vidéos que des compatriotes commentent sur le Kongo-Kinshasa ? Pourquoi sont-ils produits ? Est-ce pour le bien-être collectif et le bonheur partagé des Kongolais(es) ? Quelle est notre capacité collective de prendre une distance critique vis-à-vis de tout cela ? Souvent, qu’est-ce qu’il se passe ? Savons-nous que plusieurs de ces  »producteurs » sont des adversaires acharnés contre notre bonheur collectif partagé ?

Sous d’autres cieux, la conscience de cette supercherie s’éclaire de plus en plus. Des hommes et des femmes debout se rendent compte que, « le grand public ne parvient même pas à voir en eux l’ équipe qu’ils constituent de facto, en raison de la subtilité avec laquelle ces derniers se partagent les rôles et se cachent derrière une multitude de titres grandiloquents, de noms d’ONG aux objectifs tous plus nobles les uns que les autres, charitables ou d’une grande utilité sociale. Ce sont donc toujours eux qui distribuent les notes de conduite aux politiciens (…), eux qui vérifient la régularité des élections, et encore eux qui truquent les sondages de campagne électorale pour favoriser les entreprises des marionnettes (…). 1»

Le comble est que les compatriotes engagés dans la guerre de tous contre tous semblent avoir perdu de vue que le pays est frappé depuis plus de deux décennies par une guerre raciste de basse intensité. Donc, ils prêtent main forte aux agresseurs en étant des victimes innocentes et/ou consentantes de la guerre cognitive prise en charge par les médias mainstream, la télévision, le fanatisme, et le thuriférérat . Heureusement, il n’ y a pas de fatalité.

3. Qu’importe qui gagne les élections

Sous d’autres cieux, des hommes et des femmes debout indiquent qu’il y a lieu de briser les chaînes de cette guerre cognitive. Ils estiment que « dans cette guerre cognitive totale, pour avoir la moindre chance de gagner, il est absolument nécessaire d’être d’abord conscient de vivre en état de guerre, en qualité de cible des ennemis situés de l’autre côté côté des télévisions. Or, compte tenu de l’ignorance presque totale du grand public, l’agresseur domine sans partage le champ de bataille, étant donné qu’il est en mesure de transformer le gros de la population en « idiots utiles » à sa cause.

Qu’importe désormais qui gagne les élections et qui les perd ? Ce qui compte véritablement, c’est que tous ces rouages insignifiants du Système continuent à se mouvoir à l’intérieur de l’enclos, sans franchir la ligne de démarcation qui assigne ses limites à la vie politique de notre pays. 2»

Sortir de cette ignorance en prenant conscience de l’existence des ennemis tapis derrière les télévisions ou dans les coulisses des médias mainstream, des réseaux sociaux ou des ONG est possible pourvu que, collectivement, des compatriotes restent attentifs aux valeurs et aux faits tout en rompant avec le déni du réel. Des débats collectifs peuvent devenir des véritables trajets d’apprentissage en commun. Tout comme ces efforts déployés au quotidien pour désapprendre à rester esclaves des médias et des ONG dénommés abusivement  »internationaux » en créant des médias alternatifs et/ou en réapprenant à s’émanciper souverainement en fréquentant assidûment ceux qui existent déjà.

Une petite conclusion

Désapprendre et réapprendre est un exercice difficile. A un certain moment, être guidé par des  »maîtres » et des  »sages » sans sombrer dans le culte de la personnalité du  »chef », du  »prof » ou dans un infantilisme abrutissant est important. Pour cause. Cette guerre cognitive étant spirituelle, elle ne peut être gagnée que là où  »les maîtres » en spiritualité (et en plusieurs disciplines humanistantes) essaient de guider leurs disciples afin de les rendre capables d’opposer un système de valeurs différentes à la pensée unique néolibéralisante et destructrice des vies et de l’humanité ; afin que ces disciples fondés sur ce système vivent, au sein de leurs collectifs citoyens, de la résistance et de la résilience en rompant avec toute fabrication du consentement en vue de refonder un Etat souverain et panafricain au coeur de l’Afrique.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

1P.-A . PLAQUEVENT, Soros et la société ouverte. Métapolitique du globalisme, Culture et Racine, 2020, p. 23.

2Ibidem, p.. 23-24.

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