Le processus électoraliste et la tradicratie ouverte

Mise en route

La campagne électoraliste a mimé ses moments  »politiques ». Politique entendue comme l’art de s’engager, par la parole et les actes et/ou par des actes de la parole, à édifier collectivement une cité où le bien-vivre est garanti au maximum en vue d’un bonheur collectif partagé. Cet engagement est unicificateur et respectueux de la différence et des probables désaccords.

En rompant avec  »la déraison du mimétisme », les politiques et les masses populaires kongolais peuvent s’inscrire dans un processus tradicratique ouverte n’ayant rien à envier aux autres. Une lecture attentive de la compagne électoraliste peut fournir des éléments pouvant engager sur la voie tradicratique ouverte à la fécondation réciproque de la tradition et de la raison, toutes deux restant attentives au coeur.

 »La déraison du mimétisme » confine à reproduire le  »fondamentalisme démocratique » obsolète en refusant de revisiter les riches traditions africaines de l’organisation du pouvoir. Le rejet du livre et l’obéissance aux diktats des  »décideurs » produit un pscittacisme délirant. Au point que s’écouter soi-même et tirer les conséquences existentielles de ce qu’on débite comme discours devient impossible. Il y a là un problème d’aliénation et du viol de l’imaginaire très sérieux. Or, les traditions africaines peuvent contribuer à la production des imaginaires alternatifs utile au co-bâtissement du Kongo-Kinshasa. L’usage des langues kongolaises au cours de la campagne électoraliste est très instructif sur cette question.

Toyokana

Tenez. Au cours de la campagne électoraliste, des meetings ont placé les candidats sollicitant les suffrages populaires en face des masses. Plusieurs candidats voulaient établir un dialogue avec ces masses. Lorsque les réclamations intempestives et le bruit empêchaient ce dialogue, les candidats interpellaient les masses en ces termes :  »Toyokana. Tusikilizane. Tumvuanganayi. ».

Le dialogue avait besoin de l’écoute réciproque. Même si, souvent, il se transformait en monologue (du candidat) invitant les masses à n’écouter que lui et à applaudir.

Déjà à ce niveau, quelque chose clochait du point de vue de la procédure dite  »démocratique ». Le monologue évite la participation populaire et refuse la transmutation des masses populaires en peuple, c’est-à-dire en des citoyens connaissant leurs droits, leurs devoirs, leur histoire, conscients de ce qu’ils portent comme intérêts et engagés courageusement -comme acteurs- dans l’édification collective de leur cité. Et vivant cette responsabilité comme un devoir patriotique auquel ils ne peuvent pas se dérober.

Le monologue électoraliste fut porteur d’une approche monolithique du  »pouvoir-os » politique.

Donc, du point de vue de la participation citoyenne, il est inutile d’attendre de ce monologue l’éclosion d’un pouvoir véritablement démocratique.

Pourtant, dans l’usage fait des verbes de nos langues vernaculaires pour inviter à cette participation  »démocratique » écoutante est révélateur de ce qu’elles peuvent apporter à l’dification d’une cité consciente  :  »Toyokana. Tusikilizane. Tumvuanganayi. ».

Ditunga diyi

Et il y en a même qui sont allés loin en appelant leurs interlocuteurs en face  »ditunga ». Pour les inviter à l’écoute mutuelle, ils disaient : « Ditunga, diyi (pays, (une seule) parole ? ». Et les masses populaires répondaient : « Diyi dimue (une seule parole). » Et ils continuaient : « Muamba balume (ce que disent (ou diront) les hommes ? ». Et les masses répondaient : « Mmuamba kakaji (c’est ce que diront les femmes). » Ils reprenaient : « Muamba bakaji ? » Et les masses enchaînaient : « Mmuamba balume. » Quand ? Au bout des échanges, des débats et des délibérations.

Identifier ses interlocuteurs au  »ditunga » (pays), c’est, en filigrane, les reconnaître comme co-bâtisseurs. (ku-tunga ou ko-tonga, c’est fabriquer, construire, bâtir). Ce co-bâtissement passe d’abord par l’unicification de la Parole au moyen des procédures dialogales. Celles-ci sont faites de débats argumentés, de la participation citoyenne, de la délibération et des décisions collectives dans un espace public où la liberté d’expression est garantie. Dans cet espace public, la Parole passe des hommes aux femmes, des femmes aux hommes, de façon que, dans la confiance mutuelle, se dessine un minimum de consensus sur les principes structurant le co-bâtissement du pays. C’est cette façon de procéder, c’est cet usage de  »la raison pratique » qui est au coeur de l’idée de la démocratie.

Donc, être en face de ses compatriotes et les appeler  »ditunga », ça devrait être une façon de les reconnaître comme égaux et collaborateurs dans l’édification de la commune cité. C’est-à-dire avec eux  »le souverain primaire » et en tirer toutes les conséquences du point de vue de la prise des initiatives collectives et la reddition régulière des comptes.

Toute la question est d’aller jusqu’au bout de ces procédures et de ne pas les interrompre par  »les élections-pièges-cons ». Les retrouvailles sous l’arbre à palabre à la cour de plusieurs chefs (coutumiers) ou rois africains étaient régulières. (Villageois de Kanyuka, à Kananga, j’ai vu, mes chefs coutumiers organiser l’arbre à palabre fréquemment.) (à suivre)

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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