Le politique, la politique  et le conflit. Essai sur la vision du conflit entre les Congolais(e)

« L’outil le plus puissant que détienne l’oppresseur est la pensée de l’opprimé. » S. BIKO

Il arrive que  »l’hégémonie du présent perpétuel » ne nous laisse pas suffisamment de temps pour lire, étudier, apprendre en commun, mener un débat argumenté, etc. Ceci comporte un danger. Nous pouvons tomber dans l’ignorance et l’inculture. Questionner les concepts que nous utilisons au quotidien dans nos débats et le contexte culturel où ils se sont imposés est important.  Les mots et les concepts ne sont pas toujours innocents. Tout comme leur usage.

Dans l’approche de certains compatriotes du politique et de la politique, il y a une confusion entretenue sur leur sens. Il arrive que l’un soit pris pour l’autre. Les réseaux sociaux ne facilitent pas toujours la tâche. Souvent, ils livrent de petites explications et de petites réponses aux questions exigeant des approches plus fouillées. L’entretien de cette confusion n’est pas une particularité congolaise. Il est généralisé. En 2016, des Evêques français, au nom de leur citoyenneté, ce sont saisis de la question et ont rédigé un texte très édifiant intitulé  »Dans un monde qui change,  retrouver le sens du politique ». Dans ce texte, ils rappellent que « le politique précède la politique, il ne se résume pas à sa mise en application. Il affirme l’existence d’un « nous » qui dépasse les particularités. Il définit les conditions de la vie en société, tandis que  la politique désigne les activités, les stratégies et les procédures concrètes qui touchent l’exercice du pouvoir. » Et (…) ce qui doit fonder cet exercice c’est le politique, la recherche du bien commun et de l’intérêt général qui doit trouver son fondement dans un véritable débat sur des valeurs et des orientations partagées. » Le politique dit à quelles conditions  »le vivre ensemble » et l’affirmation du  »nous » sont possibles. Le débat lui est indispensable pour  l’affirmation et la consolidation du « nous » et le dépassement  »provisoire » du conflit tout en mettant en garde contre  »l’illusion d’un consensus permanent » sur les valeurs et les orientations. La politique crée des mécanismes et des institutions pouvant rendre ce débat possible.
Dans une certaine tradition luba de la gestion du politique, les masambakanyi  (dénommés ailleurs kinzonzi ou looso)  permettaient la création du consensus  »provisoire » en faisant de la prise de parole, non seulement un droit, mais un devoir. Et l’écoute du parlant était importante. Pourquoi ? Il y avait un petit principe au cœur du débat : « Buimpe mbwa matshi ; bubi mbwa matshi. » (Ce qui est dit peut être bon ou mauvais ; l’essentiel est que les oreilles entendent.)
La mise en pratique de ce petit principe supposait que les protagonistes aux masambakanyi  soient portés par le désir de gérer les différends ou les autres problèmes collectifs sagement, comme des  »bantu », sous la supervision des  »bibliothèques villageoises », du Chef et de ses Kapita et dans l’intérêt du  »ciota » (cité, village) ; d’une cité sensée où la promotion de la vie était l’idéal. Et beaucoup de  »masabakanyi » visait la préservation de la vie de  »bantu ba bende ». Tout était fait, même certains sacrifices, pour que  »les bantu d’autrui »,  »les bantu ba bende », (kabafu) ne meurent pas. (Ba bende kabufu, mba balume ne bakaji).
L’écoute, la production, la préservation et la protection de la vie, la promotion des cités sensées gérées par les chefs, leurs Kapita et quelques  »bibliothèques vivantes » portaient la palabre et donnaient le sens.
Le passage de nos villages ou villes aux villages et villes  »modernes » s’est fait sur fond de nouveaux paradigmes. Les paradigmes de néantisation, d’indignité et de négation de l’altérité. Ces paradigmes ont engendré, dans le chef de plusieurs d’entre nous le complexe d’infériorité, la haine de soi et du « nous », un esprit de concurrence et de compétitivité exacerbé, la cupidité, le larbinisme, etc.
Pour cause. Ce passage  s’est fait par le biais de l’école moderne ; c’est-à-dire en imposant l’hégémonie culturelle du négrier, du colon, du néocolon et du mondialliste. A quelques exceptions près. C’est-à-dire en marge des  »dissidents » ayant compris que l’Afrique (et le Congo-Kinshasa) étaient entraînés dans une aventure ambiguë.  Cette hégémonie culturelle a mangé plusieurs cœurs  et plusieurs esprits congolais  en leur inculquant un usage contrôlé de certains concepts non questionnés. Héritiers naturels du  »kinzonzi », du  »looso » et des  »masambakanyi », les politiciens congolais parlent, par exemple, de  »notre jeune démocratie ». Pour eux, le vent de la démocratie n’a soufflé sur les cités et les villages congolais qu’à partir du discours de Mitterrand à la Baule. Donc, elle est  »une invention occidentale ».  »La démocratie des autres » n’existe pas et n’a jamais existé.
Cette  »invention occidentale » ne peut  »grandir » que sous la supervision de  »la communauté internationale ». Elle doit materner  »la jeune démocratie » et  »les jeunes démocrates » pour qu’ils rattrapent  »les vieilles démocraties occidentales ».
Forts de cette approche aliénée de la démocratie, ils sont insensibles à toutes les remises en question  de sa marche dans  »les vieilles démocraties » tel que Robert Charvin en parle par exemple dans cet article(http://www.investigaction.net/quelle-drole-de-gauche-cette-fausse-gauche-sociale-democrate/). Souvent,  »’nègres de service » des dominants de  »vieilles démocraties », ils se constituent , petit à petit, une caste des dominants habitant la République de la Gombe et résolvant, entre eux, les problèmes de plus de 70.000.000 d’habitants. Et les populations n’ayant presque plus de référence au  »kinzonzi » ou au  »looso » applaudissent. Certains compatriotes sachant lire et écrire s’en prennent à ceux et celles d’entre nous qui remettons en question ce marché de dupes au nom de la jeune démocratie. Et de quelle manière ? En leur demandant de se taire.
Ils ne s’inscrivent même plus dans la logique de  »bubi mbwa matshi, buimpe mbwa matshi » ; même pas dans celle de  »la démocratie de vieilles démocraties » où  »l’illusion du consens définitif » plaide pour l’ouverture de l’espace public à tous. Non. Ils réclament carrément le silence de ceux et celles qui ne pensent pas comme eux.
Il y a là comme un appel à l’uniformisation de la pensée (et à son appauvrissement) entretenu par quelques  »champions des médias sociaux » sans référence ni aux  »bibliothèques traditionnelles », ni à celles  »modernes de vieilles démocraties ». De plus en plus, le débat argumenté gêne. Il y a là comme un appel à l’inculture historique et politique. Le cas de JOKA, de ses proches et de ses conseillers universitaires est de plus en plus évoqué pour justifier cette inculture.
Il est pratiquement rare que cet appel à l’inculture mentionne les grands critiques de l’école et/ou de l’université modernes tels que Cheikh Hamidou Kane, Noam Chomsky (dans Deux heures de lucidité), Susan George (dans La pensée enchaînée), Alain Deneault (dans La médiocratie )
Il y a une lutte, une noble lutte à mener : celle de la protection des espaces de débat d’idées. Les fanatiques et les émotionnels ne devraient pas en être exclus. La politique est aussi le domaine du fanatisme et de l’émotion. Créer des espaces et des institutions pouvant promouvoir le débat d’idées et leur   »incarnation » sans meurtre. Un pareil débat féconde  »le convivialisme » et  »la politique bonne ».Nous sommes d’avis que « la politique bonne est (…) celle qui permet  aux être humains de se différencier  en acceptant et en maîtrisant le conflit. »
Cela peut être difficile  dans un pays sous occupation et sous tutelle, soumis pendant plus de 130 ans à l’oppression, à la répression et à une guerre sous-traitée. Cette longue période historique d’humiliation et de maltraitance a causés des dégâts  »décivilisateurs » dans plusieurs cœurs et plusieurs esprits congolais. Une révolution culturelle refondatrice est indispensable.

Mbelu Babanya Kabudi

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