L’usage de la Bible au Congo-Kinshasa est parfois pitoyable

Il ne suffit donc pas d’avoir la Bible en mains pour en faire un bon usage. Au Congo-Kinshasa, ce livre peut être instrumentalisé au point que les textes qui en sont tirés servent d’opium du peuple. Il arrive que l’évocation de la Bible dans notre pays passe sous silence la tradition prophétique liée aux appels au respect de la dignité de l’homme (et de la femme), à la justice sociale et à l’émancipation politique des peuples opprimés. Une certaine référence à l’Ancien Testament oublie qu’il est nourri des luttes d’un petit peuple soucieux de conserver son identité et de s’émanciper de tout assujétissement.
Etudier la tradition biblique n’est pas toujours facile dans un pays où l’école et l’université sont en voie de disparition. Heureusement qu’il y a encore des institutions où cette tradition peut être approfondie. Cela étant, la loi du moindre effort et de l’instrumentalisation de  »Dieu » conduit plusieurs d’entre nous à dormir sur leurs lauriers. A un certain moment, forts de  »l’Esprit de Dieu » qui les guident, ils arrêtent d’étudier et de se former. Ils oublient que les questions liées à la religion et à la violence sont étudiées au quotidien par des hommes et des femmes cherchant à savoir comment les religions devant, en principe, prêcher l’amour et la paix, finissent par être instrumentalisées par les pouvoirs financiers et les intérêts politiques au point que les adeptes écrasent le pauvre et le faible qu’elles sont supposées protéger. (Lire C. HAGEGE, Les religions, la parole et la violence, Paris, Odile, Jacob, 2017)
Il ne suffit donc pas d’avoir la Bible en mains pour en faire un bon usage. Au Congo-Kinshasa, ce livre peut être instrumentalisé au point que les textes qui en sont tirés servent d’opium du peuple.
Il arrive que l’évocation de la Bible dans notre pays passe sous silence la tradition prophétique liée aux appels au respect de la dignité de l’homme (et de la femme), à la justice sociale et à l’émancipation politique des peuples opprimés. Une certaine référence à l’Ancien Testament oublie qu’il est nourri des luttes d’un petit peuple soucieux de conserver son identité et de s’émanciper de tout assujétissement. D’un peuple lié à ses lois et à sa liberté. Et que ses prophètes ont eu maille à partir avec ses chefs religieux dans la mesure où leurs remises en questions politiques, cultuelles, juridiques et sociales n’étaient pas toujours tendres à l’endroit des pouvoirs politico-religieux en place. Il nous semble que quand nous lisons la Bible sans pénétrer le génie langagier et organisationnel juif constituant son arrière-fond, nous lui faisons dire n’importe quoi. Souvent , la tendance la plus faciliste est de lui enlever tous ses accents prophétiques pour la ramener à ses appels à l’amour du prochain et au pardon. Voilà ce qu’il faudrait faire sans oublier le reste.
Lisons un peut de ceci sur le jeûne que Dieu aime selon le prophète Isaïe (58) :
01 Crie à pleine gorge ! Ne te retiens pas ! Que s’élève ta voix comme le cor ! Dénonce à mon peuple sa révolte, à la maison de Jacob ses péchés.
02 Ils viennent me consulter jour après jour, ils veulent connaître mes chemins. Comme une nation qui pratiquerait la justice et n’abandonnerait pas le droit de son Dieu, ils me demandent des ordonnances justes, ils voudraient que Dieu soit proche :
03 « Quand nous jeûnons, pourquoi ne le vois-tu pas ? Quand nous faisons pénitence, pourquoi ne le sais-tu pas ? » Oui, mais le jour où vous jeûnez, vous savez bien faire vos affaires, et vous traitez durement ceux qui peinent pour vous.
04 Votre jeûne se passe en disputes et querelles, en coups de poing sauvages. Ce n’est pas en jeûnant comme vous le faites aujourd’hui que vous ferez entendre là-haut votre voix.
05 Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ?
06 Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ?
07 N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?
08 Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche.
09 Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,
10 si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi.
11 Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien irrigué, comme une source où les eaux ne manquent jamais.
Des textes allant dans le même sens sont nombreux chez les autres prophètes. Et les commandements de Dieu, eux-mêmes, disent aux croyants comment ils peuvent faire pour avoir un esprit sain dans un corps sain et vivre leur relation à autrui. Ils indiquent les limites au-delà desquels il ne faut pas aller pour éviter de tomber dans la démesure, dans l’hybris comme diraient les Grecs. (Lire M. NABATI, Ces interdits qui nous libèrent. La Bible sur le divan, 2007)
Il est curieux que chez nous, après avoir tué les Congolais(es), pillé leurs terres et leurs maisons, les pilleurs et leurs complices interdisent à l’église, d’assumer, dans la mesure de ses possibilités de ne pas assumer son rôle prophétique. Il y a, chez nous, une peur terrible de voir  »l’église faire la politique ». Si  »faire la politique » signifie s’allier aux forces de la mort pour tuer et néocoloniser les Congolais(es), cette peur peut se comprendre. Elle peut être dépassée par des débats organisées sur la place publique. Mais si  »faire la politique » signifie interdire à l’église d’exercer son rôle prophétique et assumer sa responsabilité citoyenne, elle ne devrait pas obéir à cette injonction. Elle tomberait dans l’analphabétisme politique dénoncé Bertolt Brecht quand il écrit ceci :« Le pire des analphabètes, c’est l’analphabète politique. Il n’écoute pas, ne parle pas, ne participe pas aux événements politiques. Il ne sait pas que le coût de la vie, le prix de haricots et du poisson, le prix de la farine, le loyer, le prix des souliers et des médicaments dépendent des décisions politiques. L’analphabète politique est si bête qu’il s’enorgueillit et gonfle la poitrine pour dire qu’il déteste la politique. Il ne sait pas, l’imbécile, que c’est son ignorance politique qui produit la prostituée, l’enfant de la rue, le voleur, le pire de tous les bandits et surtout le politicien malhonnête, menteur et corrompu, qui lèche les pieds des entreprises nationales et multinationales. »
Babanya Kabudi
Génération Lumumba

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