Prof André Mbata formel : Inclusif ou pas, un dialogue de 200 personnes sans légitimité ne peut prévaloir sur la Constitution de la République

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Lors du Forum panafricain sur la gouvernance qui se tenait en octobre 2007 à Ouagadougou au Burkina Faso, il avait ébranlé l’auditoire et donné une leçon à ses collègues universitaires habitués aux courbettes devant les monstres qui nous gouvernent en clôturant son exposé magistral par un conseil au dictateur Blaise Compaoré assis juste à sa droite : « Les chefs d’Etat africains devraient apprendre à respecter les constitutions de leurs pays. Il y a une vie après la présidence. Il faut quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte ».

Dans son pays natal, la RD Congo, il s’est transformé en « professeur de droit constitutionnel de la nation » en valorisant plus qu’aucun autre juriste avant lui la Constitution que les « apôtres de l’inanition de la nation »ont toujours tenu pour un simple chiffon de papier. Il nous aura appris des métaphores comme le « rétropédalage en matière de constitutionnalisme et d’Etat de droit »  ainsi que le « triangle du glissement » mis en place par le pouvoir pour violer la Constitution.

Le triangle du glissement serait constitué du gouvernement du Président de la République (qui manipule la Commission électorale – CENI – et la Cour constitutionnelle truffées de thuriféraires ou des tambourinaires de la Majorité présidentielle), de la CENI qui s’évertue à étaler le recensement des électeurs pour prolonger le mandat présidentiel au-delà de la durée constitutionnelle, et de la Cour constitutionnelle, véritable bras séculier du gouvernement sous la coupe du Ministre de la Justice et dont les membres viennent de bénéficier d’un statut très particulier de chefs de corps… en contrepartie du prononcé d’un énième arrêt en violation des articles 73, 74 et 220 de la Constitution qui serait déjà prêt dans les tiroirs du Président de cette juridiction et qui autoriserait le Président de la République de rester indéfiniment au pouvoir sous l’argument juridique fallacieux de « continuité des services publics » – alors que le Président de la République n’en est pas un – et qui délierait la CENI de son obligation constitutionnelle de convocation du scrutin pour l’élection du Président de la République 90 jours avant la fin du mandat sous un non moins fallacieux argument de « force majeure ».

Le dernier passage du Prof André Mbata à Kinshasa remonte au mois de juillet 2016 lorsqu’il avait pris part à l’atelier du Chemin de la Paix organisé à l’intention des représentants de la société civile, des institutions religieuses, du monde universitaire, et des mouvements citoyens tels que Filimbi (coup de sifflet… annonçant la fin irréversible du mandat du président en exercice)  et Lucha  (Lutte pour le changement) réunis autour de Dr Denis Mukwege, le célèbre « Réparateur des Femmes ». Cet atelier avait eu lieu à Caritas Congo et s’était clôturéau Centre Fatima le samedi 30 juillet 2016 en présence des chefs des missions diplomatiques comme le Nonce apostolique et l’Ambassadeur de Belgique et de plusieurs leaders politiques du Rassemblement, spécialement ceux du G7 et de la Dynamique de l’Opposition.

Livrant la synthèse de la réunion, le Prof André Mbata avait insisté sur le fait que pour les participants, il ne pourrait y avoir de paix durable en RDC sans le respect de la Constitution et de la Résolution 2277 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui insistent sur la tenue de l’élection présidentielle en 2016. Il avait alors annoncé les étapes les plus importantes du Chemin de la Paix proposé par la société civile: la convocation du scrutin pour l’élection présidentielle le 19 septembre 2016, soit 90 jours avant la fin du second et dernier mandat présidentiel, conformément à l’article 73 de la Constitution,  l’élection présidentielle proprement dite le 5 décembre 2016, la prestation de serment du nouveau président élu le 19 décembre, et la remise et reprise entre lui et Mr Joseph Kabila, le président sortant, le 20 décembre 2016.

Par la suite, le débat sur le « Dialogue » s’était amplifié. Un Comité préparatoire avait été mis en place par Mr Edem Kodjo, facilitateur désigné par Mme Dlamini Zuma, la Présidente de la Commission de l’Union africaine. Après l’adoption d’une « feuille de route » proposée par Mr Kodjo qui se comporte en réalité comme un médiateur plutôt qu’un facilitateur en désignant à lui tout seul plus de 10% des participants (29 « personnalités politiques ») , le « Dialogue » avait démarré le 1er septembre 2016 en l’absence de l’Opposition la plus significative au régime. Aussitôt après le démarrage en trombe, le train du « Dialogue »était rentré dans la gare faute d’ « inclusivité » avec l’espoir d’embarquer les passagers qui comptent le plus et qui se retrouvent au sein du Rassemblementdes forces politiques et sociales que dirige Mr Etienne Tshisekedi.

Et l’opinion attendait que l’un des plus brillants, des plus rigoureux,des plus constants de nos constitutionnalistes et l’un de ces rares intellectuels qui ne se sont pas agenouillés devant  la« Bête » du pouvoir et de l’argent qui continue de décimer notre classe intellectuelle donne de sa voix. Il vient de le faire à partir d’Abidjan en Côte d’Ivoire où il avait été invité par l’Union africaine pour prendre la parole lors de la réunion des représentants des institutions judiciaires et les réformes judiciaires dans les pays de l’Afrique de l’Ouest qui s’est tenue du 29 au 31 août 2016.

Appelé à se prononcer sur la situation dans son pays devant un auditoire constitué d’éminents constitutionnalistes africains, des membres de la Haute Cour de Justice de la CEDEAO, des juridictions constitutionnelles des pays membres, des institutions publiques et de la société civile ivoiriennes alors que son exposé portait sur le rôle du pouvoir judiciaire dans la promotion de l’Etat de droit en Afrique de l’Ouest, le constitutionnaliste est resté égal à lui-même.

Pour André Mbata, la Cour constitutionnelle de la RDC n’est pas intellectuellement mieux ou aussi outillée que le Conseil constitutionnel ivoirien qui avait proclamé Mr Laurent Gbagbo comme président élu de Côte d’Ivoire en décembre 2010 avant de rendre un autre arrêt consacrant la victoire d’Alassane Dramane Ouattara en mai 2011 sans nullement motiver ce revirement jurisprudentiel. Dans le débat actuel sur la Constitution, ce serait faire preuve de naïveté que de s’attendre à ce que cette Cour qui se nourrit aux mamelles du pouvoir et dont les juges semblent avoir renoncé à toute indépendance s’autorisent un quelconque « devoir d’ingratitude » vis-à-vis de l’exécutif et de la majorité au pouvoir comme on l’a vu en Afrique du Sud et au Bénin pour ne citer que ces pays.

Prof André Mbata a exprimé ses plus vives inquiétudes au sujet du rôle des institutions judiciaires dans la promotion de l’Etat de droit en RDC. Par ailleurs, tout en approuvant l’idée de dialogue qui est permanent en démocratie, il a cependant précisé qu’un tel dialogue était fondamentalement un dialogue entre les gouvernants et la classe politique d’une part et les gouvernés de l’autre, et non pas un « dialogue » du reste à huis-clos entre une poignée de politiciens spécialistes de la « politique du ventre » qui se servent du peuple comme un tremplin pour accéder au pouvoir, s’y maintenir ou simplement se partager le « gâteau ».

Vu sous cet angle, certains responsables politiques n’ont pas totalement tort d’hésiter ou même de refuser de se rendre à la « mangeoire » qui attire de nombreux politiciens sans idéal ou des opposants de quelques semaines qui crient très fort et parlent du peuple quand ils ont faim et se taisent aussitôt qu’ils ont été servis par celui qui est au pouvoir et qu’ils n’avaient cessé d’insulter. Pour celui qui a toujours attribué le pourrissement de la situation en Afrique au pourrissement de la « tête » selon que « le poisson pourrit d’abord par la tête » comme l’affirme un adage chinois, le Prof  a révélé que le diable du fameux « Dialogue » se trouvait bel et bien dans les détails ou plus précisément dans la « queue » de la « feuille de route » qui prévoit comme dernier point la signature d’« un accord politique ».

Alors que sous la pression de la communauté internationale, on en est encore à la recherche de l’inclusivité autour de Mr Edem Kodjo, Prof Mbata n’a pas manqué de préciser qu’inclusif ou non, quelque 200 personnes du reste sans aucun mandat ne pourraient se substituer à plus de 70 millions de congolais sans violer la Constitution de la République, la Résolution 2277 du Conseil de Sécurité de l’ONU ni les instruments régionaux tels que l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte africaine des élections, de la démocratie et de la gouvernance.

Puisque malgré tous les discours entendus sur la place publique, l’objectif réel du « Dialogue » et de l’accord final serait de prolonger le mandat du Président en exercice et d’instaurer une énième transition avec un gouvernement d’union, d’entente, ou d’ouverture nationale dont les portefeuilles hantent les esprits des « dialoguistes », Prof Mbata a affirmé haut et fort qu’un accord de partage de pouvoir entre 200 politiciens sans aucun fondement juridique ne saurait prévaloir sur la Constitution de la République et devenir la loi suprême du pays. Le constitutionnaliste ne pouvait pas s’expliquer non plus comment les représentants de la communauté internationale qui forçaient les « opposants à l’Opposition au Dialogue » pouvaient soutenir un accord visant la violation de la Constitution et de la Résolution 2277 pourtant présentées comme traçant le cadre dudit dialogue.

Si tel devait être le cas ou si le « Dialogue » n’avait pour but que d’améliorer le résultat des « Concertations nationales » en validant le coup d’Etat constitutionnel, les participants et tous ceux qui les auraient encouragés auraient le mérite d’inscrire leurs noms en lettres d’or dans l’histoire parmi les personnalités qui se seraient rendues coupables du crime imprescriptible de « haute trahison » contre la Nation et l’Etat en RDC. Il en est de même du Facilitateur et des envoyés spéciaux (ONU, SADC, CIRGL, Francophonie, USA) qui auraient concouru à violer une Résolution adoptée à l’unanimité par le Conseil de Sécurité de l’ONU en discréditant davantage leurs institutions respectives. Toutefois, le Prof a déclaré « espérer contre toute espérance » qu’il n’en serait pas ainsi et que la « feuille de route » ne déboucherait pas sur la violation de la Constitution et de la Résolution 2277 qui exigent la tenue de l’élection présidentielle en 2016 comme une exigence fondamentale de la Paix dans le pays.

Dans tous les cas, comme citoyen et comme intellectuel, Prof André Mbata restera solidaire de son peuple et ne sera jamais à compter parmi les intellectuels et politiciens congolais qui ont vendu leurs âmes au diable au point de sacrifier les intérêts de leur peuple sur l’autel de leurs intérêts égoïstes de pouvoir et d’argent tout en prétendant servir le même peuple et ses intérêts.

 

Correspondance particulière d’Abidjan en Côte d’Ivoire

Hadiette Muendabatshialo

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